🎙️Diaspora radicalisée : comprendre le phénomène BAS Cameroun

Publié le 9 mai 2025 à 10:28

Découvrez une analyse percutante d'Etoga Messina François sur la situation actuelle au Cameroun. Dans une interview menée par Guy Ekwalla, il explore l'impact de la Brigade Anti-Sardinards (BAS), la dynamique des mouvements contestataires et le rôle essentiel de la diaspora dans la recherche de solutions durables. Une réflexion stratégique qui appelle à la réconciliation et à une communication responsable face aux enjeux politiques.

Guy Ekwalla :
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, bonsoir. Bienvenue sur Belgo Camp 21 TV. Ce soir, nous avons une analyse particulière sur les faits qui se sont déroulés à Bruxelles, notamment au Claridge et à la sortie du ministre Noun FOO de son hôtel, alors qu’il s’apprêtait à rentrer au Cameroun. Pour analyser et décrypter tous ces faits, je suis accompagné de Monsieur Etoga Messina François.

Guy Ekwalla :
Bonsoir.

Etoga Messina François :
Bonsoir, et merci de l’invitation.

Nous avons assisté à un épisode de terrain sans précédent, mené par la BAS — la Brigade Anti-Sardinards — qui a appliqué sa méthode de « démocratie » et de « diplomatie », propres à son organisation.

 

Guy Ekwalla :
Pour analyser et décrypter la teneur des actes posés par la BAS, Monsieur Etoga, pour commencer : la BAS est un collectif de la diaspora camerounaise opposé au régime de Paul Biya et à ses soutiens. Elle a été créée en 2018. À votre avis, la BAS est-elle légitime dans son fonctionnement ou est-elle à classer dans la catégorie des organisations semant la terreur, voire comme une branche terroriste ?

Etoga Messina François :
Je vous remercie de mettre sur la table cette thématique qui, à mon sens, a toute sa place sur la scène politique.
La BAS se veut — si l’on s’en tient aux informations qu’ils ont eux-mêmes publiées — un mouvement apolitique.

Mais attention : il existe plusieurs BAS. Il y a BAS-France, BAS-US, BAS-Belgique, BAS-Côte d’Ivoire, BAS-Cameroun, etc. Partout où se trouvent des Camerounais, il est possible de retrouver une forme de BAS.
Son idéologie fédère surtout ceux qui ne sont plus en odeur de sainteté avec le gouvernement et le pouvoir en place. Ceux-là deviennent naturellement enclins à entrer dans ce qu’on appelle aujourd’hui le mouvement « anti-Sardinards ».

Donc, la BAS-France est la plus visible. Mais dans l’architecture organisationnelle de cette structure, qu’on peut qualifier aujourd’hui de terroriste, elle agit dans un sens où l’argument fondamental est la terreur.
On observe leur présence dans des actes de violence, très souvent, à l’encontre des artistes, mais aussi contre des personnes perçues comme proches des idéaux du président de la République, voire du RDPC.

Pour eux, un Camerounais ne peut plus être en accord avec cette formation politique. Et la BAS se donne pour mission de le lui rappeler. Elle se présente comme la structure qui va « sauver » les mentalités, car selon elle, 42 ans de pouvoir nous ont assombris.

Mais comment procède-t-elle ? Sa méthode est simple : la violence.

Donc, si aujourd’hui le discours que je tiens arrive aux oreilles de la BAS, il n’y aura pas de contradiction sur le plan idéologique ou argumentatif. Ce sera une riposte brutale.
C’est comme si on leur avait retiré la cervelle pour ne leur laisser que les bras musclés.

La mouvance démocratique dont ils se réclament est ainsi détournée. Ceux qui apportent une critique à leur mode d’action se retrouvent en marge de cette « démocratie », et sont exposés au musèlement, à la brutalité, à ce que le professeur Eric Math qualifie de néofascisme idéologique et conceptuel.

Si vous estimez que le président de la République a, d’une manière ou d’une autre, jeté les bases d’un développement pour le Cameroun, la BAS vous considérera comme un ennemi de la nation. Elle vous imposera une idéologie selon laquelle un seul leader peut sauver le Cameroun, et ce salut passe exclusivement par la violence.

 

Guy Ekwalla :
Leurs objectifs sont parfois flous : boycott de la culture, des hommes politiques, des institutions. Mais quels sont les objectifs principaux de la BAS sur le territoire européen ?

Etoga Messina François :
Leur objectif est simple, même s’il n’est pas toujours clairement assumé.
Vous avez rappelé des faits et éléments vérifiables, comme le picot ou certains incidents. Mais je dois aussi signaler que la BAS a tenu des réunions en 2018 et 2019 en Europe, en lien avec ce qu’ils appellent aujourd’hui « les Amba boys » — c’est-à-dire les sécessionnistes anglophones.

De ce point de vue, la BAS n’est plus dans une revendication de changement, mais devient un allié objectif de la sécession. Elle est donc à interroger : sont-ils des patriotes ou des agents de la division du Cameroun ?

On observe également une convergence entre la BAS et certaines formations politiques, même si celles-ci s’en défendent. Le MRC a toujours nié toute affiliation à la BAS, mais quand on assemble le puzzle, il devient difficile de ne pas faire le lien.

Aujourd’hui, le président de la BAS-France est un personnage surnommé "le fils du planteur" sur les réseaux sociaux. Il a remplacé un précédent leader, dans une sorte de passation « démocratique » au sein de ce qu’ils considèrent comme leur mouvement.
Ce nouveau leader n’est pas tendre dans ses propos : c’est lui qui a appelé à collecter de l’argent pour soutenir des individus comme « Field Marshall », un terroriste neutralisé par l’armée.

Donc, en 2018 déjà, ils collectaient des fonds pour soutenir la sécession. Et aujourd’hui, cette mouvance idéologique et terroriste veut avoir pignon sur rue, tout en se disant apolitique.
Il est donc légitime de s’interroger sur la nature réelle de cette organisation.

Elle est présente là où vivent des Camerounais. Et c’est un enjeu diplomatique fondamental. Si la diplomatie camerounaise ne prend pas à bras le corps cette question, nous risquons de subir les conséquences.

Les leaders d’aujourd’hui ne sont plus ceux d’hier. Ce ne sont plus les Keta ou les Kamto. Ce sont ces nouveaux visages de la violence numérique, idéologique et physique, comme ce « fils du planteur » qui, dès 2018, appelait à l’achat d’armes.

Si on prend cela à la légère, je doute que le Cameroun continue à vivre une stabilité politique.
Nous entrons dans une pente glissante vers la radicalisation. Et la BAS en fait un levier stratégique, notamment à l’approche des élections.

Ils boycottent les artistes, les institutions, ils profanent le drapeau national. Leur but, in fine, est le renversement du pouvoir par la division.

 

Guy Ekwalla :
Quelle est votre opinion sur l’ouvrage « Paul Biya et la jeunesse : hier, aujourd’hui, demain » présenté par le ministre de la Jeunesse comme un support moral, civique, et entrepreneurial destiné à la jeunesse ?

Etoga Messina François :
Je ne m’aventurerai pas dans une analyse de fond très poussée. J’ai simplement lu quelques extraits et consulté ce que l’éditeur en dit sur ses plateformes.

Ce que je peux dire, c’est que le ministre y développe trois axes majeurs — j’en retiens deux. Le premier, c’est la compilation des discours du 11 février, date symbolique, marqueur historique du discours présidentiel à la jeunesse.
C’est donc une tentative de dresser un état historique et analytique du rapport entre le président et la jeunesse camerounaise.

Cela peut être perçu comme une politique cohérente, mais aussi — selon certains — comme un aveu d’échec : une manière pour le président de partager ses failles avec cette jeunesse qu’il appelle pourtant « fer de lance de la nation ».

Le livre retrace aussi les politiques concrètes, comme le Plan Spécial Jeunes lancé en 2010, avec des programmes pilotés par le ministère. C’est louable.
Mais il y a un problème : le style du livre est hermétique. Il est inaccessible pour une grande partie de la jeunesse de 15 à 18 ans.

Ce langage n’est pas adapté. Et c’est là une critique majeure : pourquoi ne pas avoir adopté un style plus jeune, plus accessible, pour réellement toucher la population cible ?

Au-delà de cette réserve, le livre propose une image humaniste du président. Il y a ce que le professeur Obenga appelle le présentisme : la figure du président omniprésente, bienveillante, inspirante.

Ce livre arrive à point nommé, car c’est la jeunesse qui va voter. Il s’accompagne aussi d’un appel à projets pour l’entrepreneuriat jeune. Mais la BAS, fidèle à sa logique, a décidé que même cela devait être combattu.

 

Guy Ekwalla :
Et donc la question devient : pour qui roule la BAS ?

Etoga Messina François :
La BAS, à travers ses actions, semble mener une croisade personnelle contre le régime en place. Mais lorsqu'on scrute leurs méthodes et leurs alliances, on voit qu'ils se posent en opposition non seulement au gouvernement, mais aussi à toute forme d'organisation ou d'initiative qui pourrait contribuer à l'unité nationale ou au développement du Cameroun. Leur approche est radicale et, malheureusement, c'est une forme de contestation qui devient de plus en plus violente.

La véritable question qui se pose aujourd'hui, c'est celle de leur légitimité à agir ainsi. Car si l'on considère les actions de la BAS sous l'angle de la légalité et de la stabilité, leurs agissements sont difficilement défendables. En revanche, sur le terrain de la provocation, de l'impact médiatique et de l'influence dans certaines sphères de la diaspora, la BAS est devenue une organisation à part entière, avec des ramifications bien ancrées dans la contestation internationale.

Mais faut-il se demander si cette contestation est véritablement au service de la jeunesse camerounaise ou si elle ne sert que des intérêts partisans et étrangers ?

 

Guy Ekwalla :
Alors vous en arrivez à la conclusion que la BAS est en réalité un instrument de division, plutôt qu’un mouvement de libération.

Etoga Messina François :
Exactement. Ce qui était censé être un mouvement de défense des droits et des libertés de la population camerounaise, en particulier de la jeunesse, est devenu un instrument de division, de radicalisation et de violence. La façon dont ils se sont impliqués dans les affaires internes des artistes, des jeunes et des intellectuels, en stigmatisant ceux qui ne partagent pas leur idéologie, prouve leur dérive. Il ne s’agit plus de faire entendre un message pacifique, mais de forcer l’opposition par tous les moyens possibles, même si cela implique la manipulation et la violence verbale ou physique.

 

Guy Ekwalla :
Il semble que la BAS ait pris le rôle d’un « juge » et d’un « bourreau » dans une guerre idéologique qui est loin d’être bénéfique pour l’avenir du pays. Pensez-vous que la diaspora, dans son ensemble, peut se défaire de l’influence de groupes comme la BAS et retrouver un dialogue constructif avec les institutions camerounaises ?

Etoga Messina François :
C’est une excellente question. Je pense que tout dépend de l’engagement de la diaspora elle-même et de sa capacité à distinguer les vrais enjeux des querelles politiques futiles. Oui, il y a des raisons de s’opposer au gouvernement, mais la manière de le faire doit être réfléchie et responsable. La diaspora doit redevenir un acteur clé dans l’unité nationale, plutôt qu’un facteur de division supplémentaire.

Il faut aussi une prise de conscience de la part des jeunes, notamment ceux qui soutiennent aveuglément la BAS, sur les véritables conséquences de cette radicalisation. L’isolement de la diaspora et le discours haineux qui s’y répand ont des impacts concrets, à la fois pour leur image et pour l’avenir du Cameroun. Il est crucial qu’un dialogue ouvert, basé sur des idées et non sur des insultes et des actes de violence, prenne forme.

La diplomatie camerounaise doit aussi jouer un rôle majeur ici, en prenant le temps de s’ouvrir à cette diaspora, en valorisant les initiatives positives et en créant des ponts pour un dialogue apaisé.

 

Guy Ekwalla :
Mais comment parvenir à ce dialogue quand des groupes comme la BAS continuent à opposer un front de plus en plus dur ?

Etoga Messina François :
Il y a un processus long à mettre en place. Tout d'abord, il faut reconnaître que la diaspora, à travers les nouvelles générations, est très influencée par les récits de résistance à l’oppression. Mais ces récits sont souvent tronqués ou déformés par des idéologies extrêmes. La véritable résistance, celle qui porte des solutions constructives, n’a pas la visibilité qu’elle mérite. Il faut alors travailler sur un contre-discours qui valorise les efforts de paix et de construction du pays, tout en tenant compte des frustrations réelles.

L'objectif ici n’est pas de nier les injustices ou de minimiser les défis auxquels sont confrontés les Camerounais, mais de proposer une alternative pacifique à la confrontation systématique.

Il existe des alternatives, mais elles nécessitent une volonté de changer de paradigme et d'accepter que ce pays, plus que tout autre, a besoin de réconciliation et de coopération pour progresser.

 

Guy Ekwalla :
Nous avons donc un travail de reconstruction à faire, tant au niveau interne que diplomatique, pour sortir de ce cycle de violence idéologique et d’opposition systématique.

Etoga Messina François :
Absolument. Le Cameroun est un pays de transition, un carrefour entre plusieurs visions du monde et plusieurs systèmes politiques. Si les Camerounais arrivent à trouver un terrain d’entente, à transcender leurs différences, et à rétablir un dialogue sincère, alors nous pourrons espérer sortir de ce cycle de polarisation. Mais il faudra aussi faire face à une réalité difficile : la BAS et ses partisans ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Ce combat est long, et il exigera de tous un sens de responsabilité et de la patience. Le chemin de la réconciliation commence par la vérité et le respect mutuel.

 

Guy Ekwalla :
Je vous remercie pour cette analyse précise et vos éclairages sur la situation actuelle. L’avenir du Cameroun dépend effectivement de cette capacité à dépasser les clivages et à construire un véritable projet commun. Merci encore pour votre présence ce soir, et à bientôt.

Etoga Messina François :
Merci à vous, Guy. C’est un plaisir de pouvoir partager ma réflexion avec vos téléspectateurs.

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